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LE FOU


Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre,

Horatio, que n´en rêve votre philosophie.

William Shakespeare



Pendant qu´il était remorqué, entre convulsions et râles, au temple de la sous-dimension, le fou suivait en projetant sur l´éther ses univers hallucinogènes, qui mouraient juste après quelques instants, juste après avoir atteint la concrétion. Il criait des mots incompréhensibles, en langues inexistantes, de régions absurdes, peuplées par des êtres minuscules, souffrants et si cinglés comme le créateur qui leur conférait leurs vies éphémères. Les images ondulaient devant les regards des bourreaux, qui voyaient le dément gesticuler vers le passé et le futur, dans une superposition de visages qui rendaient compte de la fragilité de son état mentale.


Le Pantocrator transmit son jugement dans le langage instantané.

― J´espère que, malgré son état, vous serez encore capable de comprendre le verdict que je suis obligé d´émettre. Vous avez perdu la lucidité, le don le plus prisé par notre espèce. Vous n´êtes pas encore utile au multicosmos, donc vous serez dimensionnalisé― il conclut, étranger au vomissement et balbutiements du condamné, qui semblait incapable de comprendre tout message, et qui, néanmoins, dans un essai suprême pour se contrôler, dirigea son esprit vers le Pantocrator.

― Je crache sur vos multiples symétries, ridicules. Coques, masques lisses, trop parfaits. Vous ne voyez pas plus loin. Il y a d´autres possibilités, beautés, dans l´incomplet, dans l´échec, dans le sinistre.

― Créer la vie en souffrant n´est pas une beauté, mais une cruauté ―répliqua le Pantocrator, imperturbable. ― notre devoir est de créer des univers harmonieux, où les êtres profitent de leur existence, pas pour la souffrance.

― Et comment est-ce que vos animaux vont jouir de leur existence s´ils n´ont pas avec quoi comparer leurs plaisirs ? Je leur octroie seulement un point de comparaison.

Les exécuteurs le laissèrent seul et ils se placèrent derrière la vitre d´adamantium. Le condamné, avec ses yeux désorbités, dirigea son esprit vers cette barrière-là à partir de laquelle il était observé, et il la franchit avec sa dernière pensée, presque lucide.

― Vous ne connaîtrez jamais la gloire d´être vénérés. Dans mes univers, mes créatures me rendront des cultes, elles diront mon nom, Dieu, avec un immense respect, comme la représentation de ce qui est le plus sacré qui existe dans leurs vies. Ils m´adoreront et clameront vers moi pour que je les aide dans l´insoutenable angoisse de vivre. Dans ces univers, je serai le plus infini et le plus puissant que leurs petites têtes pourraient concevoir.

Il éclata avec un rire heptadimensionnel qui résonna dans la pièce avec un écho qui semblait contaminer toute de sa folie. Une petite et fragile bulle flottait encore sur lui.

― Ici, dans l´univers réel, en revanche, vous serez rappelé par nous comme le seul être qui perdit la raison, je souhaite donc, que ces dernières secondes de gloire dans votre… univers… vous soient plaisantes.

Dieu éleva le regard.

― Vous n´avez jamais pensé que, peut-être, nous ne sommes que le vomissement d´un créateur dément et malade, plus puissant que nous, mais incapable de concevoir ce que vous appelez la raison ?

Le rire de Dieu vibra quelques moments après avoir conclu le processus de dedimensionalisation, et disparu avec le dernier univers qui flottait dans la salle, comme un écho qui meurt sans laisser aucune trace.


Article d'Andrés Gutiérrez Villavicencio


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