Seul, désespéré et sans une pièce, Vernon marchait dans les rues sombres et désertes de Paris en cherchant un signe divin qui le sauverait de sa misère. En tournant à gauche sur la rue de Turenne, tous les souvenirs de sa jeunesse arrivèrent à son esprit comme des balles, l’une après l’autre. C’est à ce moment précis qu’il réalisa que cette époque ne reviendrait plus jamais.
Soudain, au loin, il entendit une mélodie familière et, guidé par le son, il trouva un vieux clochard qui jouait de l’accordéon avec une tristesse profonde, comme si un passé perdu lui manquait à lui aussi. Mais c’était la chanson qui avait attiré l’attention de Vernon, car c’était la même chanson écrite par Alex Bleach quelques années avant et dont il était très fier. À ce moment, Vernon ne se trouvait pas dans les rues mais dans la maison d’été qu’il partageait avec Alex.
« Vernon, viens ici ! Dépêche-toi ! » Criait Alex de son studio au cours de l’été 86, il venait de finir sa nouvelle chanson sur laquelle il avait travaillé sans arrêt pendant quelques semaines. « Tu penses que Sylvie l’aimera? » demandait-il avec les yeux remplis d’espoir. « Je sais pas ! Laisse-moi l’écouter ! », disait Vernon en mettant les écouteurs. « Mon ami, t’as créé un hit ! »
Et c’était là le début des deux semaines les plus longues de sa vie. Alex était si excité par son nouveau single qu’il avait appelé tous ses contacts dans l’industrie de la musique, ses amis et des amis de ses amis pour célébrer son succès. Vernon observait la sortie et l’entrée d’inconnus chez eux, l’attitude désinvolte d’Alex qui était complètement engourdie à cause de l’alcool et des drogues, et il pensait que son succès ne durerait pas longtemps.
Alors la fête arriva à sa fin, le matin où Vernon a demandé à Alex de l’accompagner à la plage. Il était tout juste 9 heures du matin mais le jukebox et les deux télévisions étaient encore allumés. Alex était allongé sur le canapé et ne portait que son slip ; il n’était pas en condition pour se promener mais Vernon insista. Ils marchèrent sur la plage durant quelques kilomètres et Alex pensa que c’était une bonne idée, en effet, le son des vagues était relaxant.
-Viens – dit Vernon en le tirant par le bras.
-Je veux rentrer, Vernon!
Alex avait atteint la limite de ses forces, il avait une migraine perçante et sentait une douleur aiguë aux reins.
-On marche encore un peu plus.
À ce moment-là, Alex vu que Vernon le regardait avec une expression étrange dans laquelle il y avait à la fois de l’exaspération et de la compassion.
-Je n’en peux plus. Qu’est-ce que tu veux, Vernon ? Je suis fatigué.
Alex avait commencé à être en colère contre lui et il croyait que Vernon avait de la jalousie à cause de son succès.
-Je dois te parler... J’ai dû t’amener ici, loin du bruit, pour que tu m’écoutes.
-Quoi ?
-La fête doit s’arrêter, Alex.
-Eh ? Mais pourquoi ? Elle vient juste de commencer !
-Combien d’argent t’as reçu jusqu’ici du label ?
-Ça t’intéresse ?
-Tu sais combien coûte cette beuverie ?
Alex resta silencieux.
-Simplement pour le loyer de la maison ce sont 1200€, 1000€ pour l’herbe et 8000€ pour la cocaïne. En haut il y avait une télévision couleur, quelqu’un a balancé une chaise dessus, 200€. Avant hier ils ont cassé la grande fenêtre, 300€. Tu veux que je continue ?
-Mais je ne savais pas… - dit Alex, stupéfait.
-Alex, la facture s’élève à plus de 12,000 euros. Combien d’argent t’as reçu ?
-800 euros – répond-t-il avec une frayeur évidente.
Vernon lâcha un long soupir et se tût un moment.
-Écoute, sors d’ici. J’ai des contacts qui pourraient t’aider, je le résoudrai moi-même. Ne t’inquiète pas.
-T’es sûr ?
Vernon hocha la tête.
-Oh merci ! Je te rembourserai un jour, c’est promis- dit Alex en l’embrassant.
Mais à partir de ces jours-là, la relation d’Alex avec les drogues n’a fait qu’augmenter au cours des années ; c’était là la dernière fois que Vernon le vit souriant et vraiment heureux.
Et, savourant le goût amer de ce souvenir, Vernon se trouvait de nouveau dans le Paris solitaire et, avec ses yeux larmoyants, il s’assit à côté du vagabond pour passer la nuit.
Ana Paola hernandez Rios
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